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Retour sur la table ronde « L’utilité du vocabulaire juridique » de l’École de droit

École de droit
Retour sur la table ronde « L’utilité du vocabulaire juridique » de l’École de droit
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Cette table ronde s’est tenue le 31 mai 2022, dans le cadre de l’exercice « Dialogues à l’École de droit »

À l’occasion de la sortie de leur Dictionnaire juridique (LGDJ, édition 2022), les professeurs Alain BÉNABANT et Yves GAUDEMET, membre de l’Institut, nous ont fait l’honneur de venir échanger à l’École de droit autour de l’utilité du vocabulaire juridique. A leurs côtés se tenaient Me Florian BOUAZIZ (cabinet Bredin Prat) et Me Orphée GROSJEAN (cabinet Darrois Villey Maillot Brochier).

Chair de la table ronde de l'école de droit

Dans un monde enclin aux néologismes et anglicismes, l’actualité de ce sujet a attiré un public important de professionnels soucieux d’approfondir les enjeux en présence.

Les nombreux échanges entre le public et nos quatre invités ont permis de mettre en évidence la place occupée par le vocabulaire dans le domaine juridique.

Le professeur Pierre-Yves GAUTIER a ainsi rappelé que la rédaction d’un dictionnaire permet d’ « allier la clarté, la simplicité et la vie ».

Il est vrai que le droit a l’avantage de permettre, indépendamment de l’âge de son interprète ou de son orientation politique, de faire société autour de notions et de définitions communes. Cette clarté, néanmoins, se cultive. Selon le professeur Yves GAUDEMET, si le vocabulaire du droit est un « langage éprouvé », il est aujourd'hui menacé par l’apparition de termes qui sont difficilement définissables, à l’exemple de la « gouvernance ». L’ajout croissant d’adverbes et d’adjectifs démontre un appauvrissement de la qualité du vocabulaire juridique, lequel constat prouve l’impérieuse nécessité d’écrire un dictionnaire juridique.

La discipline juridique impose le maniement d’un vocabulaire technique de qualité, c’est-à-dire précis et concis. Pour Florian BOUAZIZ, « être précis c'est ce qui autorise la concision ». Comme le vocabulaire médical, le langage juridique est propre à une profession. Cependant, l’effort de tout juriste est de rendre accessible ce langage auprès des non-juristes trop souvent influencés par le détournement politique de certaines notions juridiques.

Mais la clarté et la simplicité du vocabulaire ne s’opposent pas à la vie des mots. Selon Orphée GROSJEAN, les termes juridiques ne peuvent pas être « désuets » mais seulement « vieillis ». Les concepts qu’ils désignent perdurent toujours, seule la manière de les nommer varie au gré des vicissitudes de chaque époque, en témoigne l’époque d’inflation législative qui nous frappe. Les adages romains sont la preuve ultime de l’intemporalité du vocabulaire juridique. Comme le rappelle le professeur Alain BÉNABANT, si ces adages avaient l’avantage d’être « concis et parlants », leur traduction peut l’être tout autant. Les grands arrêts du XIXe siècle, par la richesse de leur vocabulaire, sont toujours compréhensibles de nos jours. 

Public de la table ronde de l'école de droit

N’oublions pas, cependant, que les mots ont un but - décrire une réalité - de sorte qu’il ne faut pas demeurer esclave de la lettre. Ainsi, l’article 12 du Code de procédure civile invite le juge à rechercher la véritable qualification des faits, malgré le vocabulaire employé par les parties. Et à titre d’utile précaution, le professeur Alain BÉNABANT nous rappelle que « toute qualification commence par une définition » !

Cet effort de définition se retrouve aussi dans la négociation et la rédaction d’un contrat. Pour Florian BOUAZIZ, si les parties peuvent s’en charger, le « vocabulaire juridique reste un appui fondamental ».

Interrogés sur la compétitivité du droit français, les différents intervenants ont rappelé le recul du droit français dans le monde des affaires. Mais le professeur Yves GAUDEMET a souligné que c'est surtout l’utilisation de la langue anglaise dans les négociations qui favorise cette attractivité du droit anglais, d’autant plus que le droit anglais, très descriptif, offre à la liberté contractuelle une place déterminante.

Le reproche fait au droit français - et incidemment à son vocabulaire - d’être trop technique est un leurre ; la véritable critique porte sur la protection qu’il accorde à certaines parties dans certaines situations déséquilibrées. Il faut alors cesser de brocarder son lexique et admettre que le véritable enjeu de ce débat est que le seul droit « ultra compétitif » n’est plus un droit, c'est l’absence de droit.

Le professeur Alain BÉNABANT a rappelé, sous l’œil amusé de la salle, que le confinement avait permis de finaliser la rédaction de ce Dictionnaire juridique. Interpellé par l’utilisation de ce terme, le professeur Pierre-Yves GAUTIER a rappelé avec ironie dans sa synthèse improvisée le sens originel de ce mot. Confiner signifiait reléguer. Si la réalité de ce signifiant nous a bien été imposée, le pouvoir politique l’a transposé, lors de la crise du Covid, sous un sens nouveau en lui offrant l’image d’un dispositif de protection des personnes les plus vulnérables. Défendre notre langage pour continuer à décrire efficacement le réel, telle est la leçon à en tirer.

Le Directeur de l’École de droit résume parfaitement l’utilité du vocabulaire juridique comme « l’expression au travers d’un mot d’un sens précis et technique ». Face à l’influence du droit anglais et des droits européens, quelle plus belle manière de conserver notre vocabulaire que par la rédaction d’un dictionnaire !

Auteur : Mathis Pinot-Chan

Icône PDFArticle dans <em>La semaine de la doctrine</em>