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Retour sur la Master Class de l’École de droit 2023

École de droit
Retour sur la Master Class de l’École de droit 2023
Photo de groupe de la master class 2023 de l'École de droit
Les participants ont plaidé autour du conflit entre liberté d’expression et droit à l’image

Lundi 13 mars 2023, l’École de droit d’Assas organisait la troisième édition de sa Master class en collaboration avec l’Institut d’Études judiciaires. L’occasion pour des élèves de l’École de droit de revêtir la robe et de plaider un cas réel devant un amphithéâtre composé d’étudiants, de professeurs et de praticiens du droit, public amené par la suite à décider avec les membres de la Cour semi-fictive de la décision de l’affaire en cause.

Le thème choisi mettait en jeu la liberté d’information de la presse face au droit à l’image d’une personnalité publique. Ainsi en mai 2018, l’actrice Sandrine VANROY participe à l’avant-première du film Taxi 5, où elle est prise en photographie avec Luc BESSON, producteur du film. Quelques jours plus tard, elle porte plainte contre lui pour viol. L’Agence France Presse (AFP) publie par la suite les photographies de l’avant-première du film, dont deux photographies sur lesquelles Sandrine VANROY et Luc BESSON apparaissent en plan resserré et souriants. En outre en octobre 2019, une dépêche de l’AFP rappelle les différentes plaintes pour viol dont fait l’objet Luc BESSON. Cette dépêche contient des déclarations de celui-ci qui clame son innocence et comporte une des photographies du producteur et de Sandrine VANROY souriante. L’actrice poursuit en justice l’AFP pour double atteinte à son droit à l’image, mais le Tribunal judiciaire la déboute de sa demande. Elle fait appel de ce jugement.

La Master class est l’appel projeté (« pre-trial ») de ce jugement de première instance, pour tester les arguments invoqués par les parties et tenter de deviner l’issue de ce procès. Roman AKERIB, élève en première année de l’École de droit, et Me Matthieu BROCHIER (associé cabinet DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER, ancien secrétaire de la Conférence) représentaient les intérêts de l’appelante, tandis que André DURBANT et Marie-Anne PEYRAT, respectivement élèves de première et de deuxième année de l’École de droit, défendaient l’AFP. Le Professeur Pierre-Yves GAUTIER revêtait le rôle du ministère public. La Cour était présidée par Anne-Elisabeth AUDIT (juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Nanterre, alumni de l’Université Panthéon-Assas), assistée de Me Christophe PERCHET (cabinet PERCHET RONTCHEVSKY) et du Professeur Marie-Laure COQUELET (Professeur à l'Université Paris-Panthéon-Assas et ancien Vice-Chancelier des Universités de Paris).

Comme dans un véritable procès, les plaidoiries se sont enchaînées en commençant par celles des avocats de l’appelante. D’abord, Roman AKERIB a attaqué la première publication de l’AFP, relative à l’avant-première du film et comportant des photographies de Sandrine VANROY et du producteur contre lequel elle avait porté plainte. Il a souligné dans un premier temps que l’AFP ne pouvait pas se passer du consentement de l’actrice pour publier ces photographies, car il s’agissait de simples images et non des créations de l’esprit, de sorte qu’elles ne pouvaient pas bénéficier du régime favorable s’appliquant aux informations mais se voyaient gouvernées par les règles du droit à l’image qui exigent un consentement. Dans un second temps, Roman AKERIB a soutenu que si l’actrice avait donné tacitement son consentement à la publication de ces photographies en acceptant de participer à l’avant-première du film, ce consentement n’était pas général et ne s’étendait pas à la publication d’un article relatif à sa plainte pour viol.
Puis, Me Matthieu BROCHIER a développé l’existence d’une seconde atteinte, consécutive à la publication des déclarations de Luc BESSON accompagnées d’une photographie le représentant avec Sandrine VANROY souriante, alors même que la procédure pénale contre le producteur était en cours. Si ce moyen avait été rejeté par le tribunal judiciaire car la dépêche était en anglais, l’avocat a affirmé qu’il pouvait être examiné en en produisant une traduction. Me Matthieu BROCHIER a ensuite fait valoir que le refus par l’AFP de retirer cette photographie constituait une faute et une atteinte à la dignité. Il a rappelé que la liberté d’information n’est pas absolue mais doit être mise en balance avec le droit à l’image et la dignité. Or le fait de cadrer la photographie sur l’actrice et le producteur, en coupant volontairement les autres personnes y figurant, ainsi que le choix d’illustrer un article relatif à une enquête pénale pour viol par une photographie de la plaignante apparaissant souriante à côté de l’homme qu’elle accuse, véhiculent un message sordide sur la véracité de la plainte et visent à attirer les lecteurs par des procédés attentatoires à la dignité de Sandrine VANROY. Ces faits constituent en outre une violation des règles de déontologie de l’AFP. Les avocats de l’appelante demandaient donc la condamnation de l’AFP à 20.000 euros de dommages-intérêts, ainsi qu’à la publication de la décision de justice la condamnant.

En réponse, l’un des avocats de l’intimée André DURBANT a soutenu que la première publication de l’AFP relative à l’avant-première du film n’avait pas été fautive. D’abord, il a rappelé que l’actrice avait donné son consentement en participant à la séance photo lors de l’avant-première et que la diffusion des photographies litigieuses était conforme au contexte dans lequel elles avaient été prises car l’article était relatif à cet événement et avait été publié au moment de la sortie internationale du film. Il a par ailleurs précisé que ce consentement n’était pas même requis puisque la liberté d’informer l’emporte sur le droit à l’image lorsqu’elle vise à informer sur un événement d’actualité et que l’image diffusée est pertinente. André DURBANT a alors rappelé que les photographies étaient pertinentes puisqu’elles représentaient les acteurs et producteur du film et que ce film était la suite d’une saga connue internationalement dont la sortie constituait donc un véritable événement d’actualité, d’autant que l’avant-première avait eu lieu à Marseille, ville où se déroulait le film.
Puis Marie-Anne PEYRAT défendu la seconde publication litigieuse de l’AFP, en réfutant que l’utilisation de la photographie de l’actrice ayant porté plainte pour viol dans un article relatif à l’homme qu’elle accuse de ce crime puisse porter atteinte à sa dignité. Elle a affirmé pour cela qu’il s’agissait de la liberté éditoriale de l’AFP d’utiliser cette image afin de traiter du thème des dénonciations d’agressions sexuelles dans le monde du cinéma, ce qui participe d’un débat d’intérêt général et a relevé que la photographie ne représentait pas l’actrice dans une situation dégradante. Au contraire, l’avocat a souligné que l’article, loin de chercher à dévaloriser la parole de l’actrice, relatait aussi l’existence de plaintes pour viols déposées par d’autres femmes contre ce même producteur. En raison de ces différents arguments, les avocats de l’intimée ont donc demandé confirmation du jugement de première instance.

Le ministère public représenté par le Professeur Pierre-Yves GAUTIER a écarté les questions de consentement et de dignité lors de son avis, pour se placer sur le terrain de la faute civile qui aurait pu être commise par l’AFP. Est-ce que l’actrice n’aurait cependant pas accepté par avance le risque de dommage moral qui pourrait lui être causé par la publication des dépêches, accompagnées des photos ? Mécanisme un peu différent du consentement. Et en quelque sorte, une contrepartie de la puissante et légitime liberté de dénoncer les abus sexuels contre les femmes, lorsqu’ils sont avérés, alors au surplus que la Cour de cassation les protège désormais des procédures pour diffamation.

Les plaideurs ont alors quitté la salle d’audience pour permettre un échange entre la Cour et le public, qui fut particulièrement animé, riche et divisé. L’atteinte à la dignité de l’actrice était débattue, car pour certains le mouvement MeToo, qui était contemporain à cette affaire, faisait peser sur les organismes de presse un devoir accru de respect de la parole des femmes portant plainte pour viol. D’autres y ont répondu que la publication de l’actrice aux côtés du producteur qu’elle accusait de viol s’inscrivait au contraire dans la lignée de l’affaire MeToo, née elle aussi dans le milieu du cinéma, de sorte que cette photo pouvait même crédibiliser sa parole. En outre, l’originalité de l’avis du ministère public de substituer au contrôle de proportionnalité un syllogisme fondé sur la théorie du risque a été saluée.
Enfin, la Cour, ainsi élargie, a voté pour décider de l’arrêt à rendre, et a conclu, à une courte majorité, à la confirmation du jugement de première instance favorable à l’AFP, en condamnant les parties à partager les dépens.

Compte-rendu rédigé par Emma FAVIER, élève de seconde année de l’École de droit

La master class en images

Photo de la master class 2023 de l'École de droit dans le grand amphi du centre Assas

Photo de groupe de la master class 2023 de l'École de droit

Photo de la master class 2023 de l'École de droit dans le grand amphi du centre Assas

Crédit photo : Sarah VIVAT, élève de seconde année de l’École de droit, et Anaïs GUILLEMET, élève de première année de l’École de droit